Compte rendu de la table-ronde relative à la pression normative
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À l’occasion de la cérémonie consacrée aux étudiants diplômés du Collège de droit, deux alumni, Sarah PARMENTIER et Quentin MONGET, exerçant respectivement au sein du Secrétariat général du Gouvernement et en tant que maître de conférences à l’Université de Rouen, se sont livrés à un échange autour du thème de « la pression normative », sous la présidence du Professeur Cécile PÉRÈS.
La discussion s’est ouverte sur la question suivante : la pression normative est-elle nécessairement mauvaise ?
Quentin MONGET a commencé par rappeler que la pression est l’objet de toute règle de droit, en ce qu’elle tend à contraindre ou orienter les comportements. En ce sens, une règle de droit sans pression serait dénuée d’intérêt.
Il demeure cependant que l’expression « pression normative » suggère une idée péjorative. Elle désigne des normes « trop lourdes », trop contraignantes pour des raisons pouvant être aussi bien formelles que liées à l’instabilité de la norme, particulièrement marquée dans certaines disciplines telles que la finance ou l’agriculture.
La pression normative n’est cependant pas toujours néfaste ; elle est même, dans certains domaines, souhaitable et appréciable. À titre d’exemple, la responsabilité civile, qui constitue une forme de pression normative permanente, par laquelle chacun est rendu responsable de ses actes, est pleinement acceptée. De même, si les exigences sanitaires imposées aux établissements de restauration peuvent paraître oppressantes du point de vue des professionnels, elles sont avant tout souhaitables pour les consommateurs.
Par ailleurs, Quentin MONGET a indiqué que l’instabilité de certaines normes peut s’avérer bénéfique, dans des cas particuliers nécessitant une constante adaptation législative, développant à ce titre l’exemple d’une maladie vétérinaire ayant nécessité un protocole sanitaire adapté hebdomadairement.
Cette nuance ayant été apportée, Sarah PARMENTIER a poursuivi la discussion en détaillant les manifestations quantitatives et qualitatives de la pression normative.
D’un point de vue quantitatif d’abord, l’inflation normative - bien qu’elle connaisse un léger ralentissement – participe grandement à l’idée de pression normative. Elle s’explique par l’émergence de besoins législatifs dans des domaines de plus en plus complexes et nombreux liés à l’apparition de nouveaux enjeux, tels que la préservation de l’environnement. S’ajoutent à cela les mesures d’applications greffées aux lois qui contribuent à accroitre le volume des actes réglementaires.
Sarah PARMENTIER a ensuite insisté davantage sur l’aspect qualitatif de la pression normative, évoquant une forme de « désordre normatif », prenant pour exemple les conflits entre les domaines de la loi et du règlement. La qualité de la loi est par ailleurs altérée par la prolifération de textes à visée plus politique que normative ainsi que de textes rédigés à la hâte dans des situations d’urgence.
Cette dégradation qualitative de la norme est contraire à l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi. Il en résulte une défiance des citoyens vis-à-vis de la législation, faisant obstacle à sa mise en œuvre. Cette sensation de pression est cependant à mettre en regard avec le cadre normatif toujours davantage sollicité, de manière paradoxale, par une partie de la population.
Cette réflexion a alors été mise en parallèle par le Professeur Cécile PÉRÈS avec l’invitation du législateur à la retenue émise par Jean CARBONNIER dans son article consacré à « La part du droit dans l’angoisse contemporaine » (Flexible droit, 10e éd., LGDJ, 2014, pp. 201 et s.).
Les intervenants se sont ensuite interrogés sur la nature des critiques émises vis à vis de la pression normative ainsi que les solutions permettant de lutter contre cette dernière.
Quentin MONGET a reconnu que les critiques intrinsèques aux normes émises par Sarah Parmentier sont légitimes du fait de leur caractère objectif. Cependant, la dénonciation de la pression normative peut avoir un sens davantage politique, lorsqu’elle résulte d’un classement de valeurs sociales, par exemple entre la recherche de l’efficacité économique et la préservation de l’environnement ou des droits des travailleurs.
Dans un tel contexte, la dénonciation de la pression normative peut être instrumentalisée à des fins politiques, au détriment des finalités légitimes poursuivies par la norme contestée.
Sarah PARMENTIER a enfin évoqué les outils mis en place par le Secrétariat général du Gouvernement pour lutter contre la pression normative, dans le cadre de son rôle de conseiller juridique du Gouvernement. Les agents du Secrétariat général du Gouvernement effectuent un contrôle normatif du fond et un contrôle légistique de la forme des textes produits par les différents ministères et sensibilisent ces derniers à la sobriété normative.
Par ailleurs, la pratique du déclassement, prévue à l'article 37 alinéa 2 de la Constitution, permet d’assurer le respect des domaines législatif et règlementaire en assurant le transfert de mesures du premier vers le second.
D’autre part, le Secrétariat général du Gouvernement veille à l’effectivité de la loi en accomplissant le suivi de leur mise en œuvre, suivi étendu en 2024 à l'application des arrêtés. Les études d'impact mises en place en 2009 s’inscrivent également dans la lutte contre la pression normative en imposant aux ministères de réfléchir aux conséquences de leurs projets de loi et de règlement sur les administrés.
Sarah PARMENTIER a conclu cette table ronde en insistant sur le devoir qu'ont tous les professionnels du droit envers les citoyens de s’assurer de l’intelligibilité et de l’accessibilité des normes : « la pression normative est l’affaire de tous ».
Compte-rendu rédigé par Zoé BARBIER et Marie-Stella GOTZAMANIS, étudiantes de 2e année du Collège de droit