De la désobéissance à la subversion, un état de la menace en France
Le 17 avril 2023, deux officiers de la gendarmerie nationale, le Colonel MARESCA et le Lieutenant-Colonel OLIVIER, ont présenté un état des lieux des menaces actuelles pour l’ordre public en France, devant un public composé d’étudiants de licence et de master, de doctorants et d’universitaires, dans l’amphithéâtre IV du centre Panthéon.
Après quelques mots d’accueil et de présentation des intervenants par Cécile PÉRÈS, directrice du Collège de droit, Grégoire LEMARCHAND-GHICA, chargé de mission pédagogique du Collège et de l’École de droit, a présenté le sujet, soulevant de nombreuses questions, et a rappelé l’origine de cette conférence. Cette conférence s’est notamment inscrite dans le cadre d’un partenariat noué avec la gendarmerie nationale et grâce auquel les étudiants du Collège de droit peuvent bénéficier de deux séminaires d’intégration en première et en deuxième année au sein de l’École des officiers de la Gendarmerie nationale (EOGN) de Melun et de l’École de gendarmerie de Dijon. Par ailleurs, cette conférence visait à rassembler les étudiants du Collège et de l’École de droit autour d’interventions de spécialistes sur un sujet brûlant d’actualité, tout en continuant de bâtir des ponts entre la Pratique (le monde professionnel) et l’Université.
Les intervenants ont centré leurs propos sur l’ultragauche et l’ultradroite. Les mouvements « ultras » se distinguent des mouvements « extrêmes ». Les mouvements « ultras » sont composés d’individus venant parfois de l’étranger et commettant sciemment des infractions au nom d’idéologies (mais pas toujours), tandis que les seconds se contentent d’exprimer des idées politiques dans un cadre légal et démocratique. Les intervenants ont aussi appuyé sur le rôle essentiel de la règle de droit, incontournable à toute société humaine, et qu’il était important d’en définir les limites pour en sanctionner la violation.
Les conférenciers ont d’abord abordé la menace représentée par l’ultragauche, la plus visible aujourd’hui. Les mouvements d’ultragauche ont pris leur essor à partir de 2016 et de la contestation de la loi « travail », devenue un argument pour commettre des infractions et troubles à l’ordre public. L’ultragauche ne croit pas nécessairement aux partis politiques et développe une idéologie antisystème et révolutionnaire.
Dans les zones de gendarmerie, ces mouvements cherchent à se constituer en communautés et à s’implanter localement, de manière parfois légale. Par exemple, ils essayent d’influer sur les élections municipales, pour que le maire subventionne des associations qu’ils ont créées – donc ils s’autofinancent grâce aux deniers publics.
Il existe différents types d’activistes d’ultragauche : autonomistes, anarchistes, antifasciste, écologistes, animalistes, ... Ces mouvements ont en commun de récupérer des sujets de préoccupation contemporains afin de justifier leur action violente (principalement l’écologie, parfois aussi les migrants et la lutte contre les violences policières). Ils développent une réflexion intellectuelle fine et produisent parfois même des travaux universitaires.
Ces mouvements adoptent une stratégie d’action en trois phases : (1) la constitution de groupes pour créer des rapports de force (phase défensive), (2) la recherche d’un équilibre stratégique pour contrebalancer le pouvoir en place et influencer les partis politiques, et enfin (3) la liquidation des forces opposées et le basculement de la société (phase offensive). En ce sens, ils publient même des manuels de formation sur divers thématiques (guérilla, sabotage, …). Leurs modes d’action sont divers et passent par l’intimidation, le harcèlement contre des sociétés à l’origine de projets (aéroports, autoroutes, …), ainsi que par la dégradation de permanences d’élus, de matériel agricole, ... Ces groupes maîtrisent la communication et mènent régulièrement des actions coup de poing. Désobéir à la règle de droit n’est pas une infraction selon eux.
Les intervenants ont souligné le fait qu’il convenait de bien distinguer la subversion de la désobéissance. Si la première consiste « simplement » à adopter une attitude violente contre les forces de l’ordre, la désobéissance implique la constitution de groupes très structurés – et très obéissants – pour mener à bien une action. Le maintien de l’ordre a connu des évolutions techniques depuis 1968. Il repose sur des règles et des fonctions originales, constitutifs d’un modèle que la France exporte à l’étranger. Comme le rappelle Pierre Joxe dans son ouvrage Sécurité intérieure paru en 2021, le maintien de l’ordre n’est pas la guerre. Il ne s’agit pas d’essentialiser l’adversaire mais de catégoriser des manières d’agir. L’enjeu du maintien de l’ordre public est absolument essentiel, car une opération ratée peut entraîner une crise politique. Ceci implique l’utilisation avec proportion et gradation des armes mises à la disposition des forces de l’ordre, d’autant plus que l’histoire constitutionnelle française révèle que des réformes majeures sont venues « de la rue » : il faut donc défendre le droit de manifester, tout en protégeant les institutions issues du suffrage.
Aujourd’hui, les forces de l’ordre font face à des adversaires qui peuvent être coopératifs ou non, pacifiques ou non, et une opération de maintien de l’ordre implique également de gérer la réaction de la foule dans la dispersion.
Les projets d’aménagement contestés (PAC) en particulier peuvent faire l’objet de contestations. Cette contestation peut se concrétiser selon trois niveaux d’intensité : la création d’un collectif local, l’organisation de manifestations et de recours juridictionnels (très utilisés par l’ultragauche) et enfin le recours à l’action violente. Le contexte conflictuel actuel est visible dans le fait que les ultras n’hésitent pas à utiliser des outils dangereux pour porter atteinte à l’intégrité des forces de l'ordre (pièges, bouteilles incendiaires ou de gaz, projectiles divers, …).
Les mouvements d’ultradroite sont moins visibles que les mouvements d’ultragauche. Ils n’en demeurent pas moins dangereux. Il s’agit souvent de groupes dissous, mais reconstitués par la suite – ce qui constitue une infraction. C’est le cas par exemple du Groupe union défense (GUD). À ces mouvements organisés s’ajoutent des individus plus isolés (des « loups solitaires »). Les courants au sein de l’ultradroite sont, comme au sein de l’ultragauche, assez divers : néonazis, ultranationalistes, identitaires, royalistes, … Ils partagent avec l’ultragauche une volonté de renverser le système actuel, mais ils sont moins structurés. Leurs références sont souvent tirées de l’histoire de grands empires (Empire Romain, Allemagne nazie, …). Une préoccupation majeure des forces de l’ordre vient du fait que ces activistes n’hésitent plus à se procurer des armes et des munitions et à se préparer pour la commission d’actions violentes.
Les conférenciers ont aussi mentionné les courants complotistes, qui développent une idéologie antisystème.
Les intervenants ont conclu sur le constat que les manifestations avaient tendance à se diversifier et l’utilisation de la rue devenait un enjeu de communication particulièrement important pour ces organisations. L’augmentation des initiatives peut in fine contribuer à saturer la capacité de réponse des forces de l’ordre. Les manifestants veulent marquer l’espace. Les forces de l’ordre se trouvent aujourd’hui confrontées au problème de la gestion de rassemblement sur de grandes esplanades, particulièrement depuis 2011 avec les mouvements Occupy et les printemps arabes. Les foules peuvent avoir un comportement intelligent, comme en témoignent les manifestations récentes à Hong Kong. La difficulté pour les forces de l’ordre se pose lorsqu’il s’agit de gérer des personnes qui n’ont pas les codes de la bonne tenue d’une manifestation comme les lycéens ou les étrangers.
Les intervenants ont enfin échangé avec le public, qui avait de nombreuses questions. Parmi celles-ci, quelques questions sur le modèle français de maintien de l’ordre ont été évoquées, avec des échanges intéressants et de tous bords. Il a également été rappelé l’importance de la spécialisation au maintien de l’ordre des gendarmes mobiles, qui « tiennent la ligne » malgré les violences. Les profils sociologiques des ultras pouvant passer à l’action violente ont aussi été évoqués. Beaucoup d’hommes, d’une catégorie socio-professionnelle pauvre (ou moyenne) et jeunes (20-45 ans) « composent » l’ultradroite (quelques milliers d’individus), tandis que les profils d’ultragauche sont très diversifiés (autant d’hommes que de femmes, toutes catégories socio-professionnelles, tous les âges) et représentent au moins plusieurs dizaines de milliers d’individus.
Compte-rendu rédigé par Thibault FILLIATRE, élève de seconde année de l’École de droit
La conférence en images
Le public et les intervenants
Le public et les intervenants
Cécile PÉRÈS, directrice du Collège de droit, et le Colonel MARESCA
Le public
Cécile PÉRÈS, directrice du Collège de droit
Cécile PÉRÈS, directrice du Collège de droit, et le Colonel MARESCA
Crédit photo : Gaspard FIGUIÉ, Tanya SULTAN et Alexandre MOUGIN, étudiants de deuxième année du Collège de droit