Retour sur la table ronde « Stratégie des contentieux » de l’École de droit
Inspirée par l’ouvrage de Maître Xavier VUITTON, Stratégie du contentieux (LexisNexis 2020, préface Pierre-Yves GAUTIER) cette table ronde a permis de rassembler, avec l’auteur du livre, les avocats Jean-Daniel BRETZNER (cabinet Bredin-Prat), Matthieu BROCHIER (cabinet Darrois-Brochier), ainsi que madame Alice PEZARD, ancien conseiller à la Cour de cassation, désormais avocat elle-même.
Il s’agissait de débattre et traiter de la pratique des avocats, face aux évolutions contemporaines de la Justice, qui sont autant de paramètres à prendre en compte pour bâtir une stratégie contentieuse efficace. Les élèves de l’École interrogeaient librement les invités.
Le travail d’élaboration d’une stratégie, un travail « artisanal », ainsi que le qualifie le professeur Pierre-Yves GAUTIER, exige rigueur, clarté et concision, gages de crédibilité auprès des magistrats. Pour Matthieu BROCHIER, l’assignation, qui entame l’instance, doit être une véritable « claque » pour l’adversaire. En pratique, aujourd’hui, la qualité des conclusions conditionne largement la qualité du jugement rendu, faute de temps pour les magistrats d’étudier de façon approfondie les dossiers.
Les contraintes qui pèsent sur les avocats dans l’élaboration de leur stratégie sont de plus en plus nombreuses. Pour faire face à l’encombrement des tribunaux, la tendance est à l’accélération des procès par des règles rigoureuses, et notamment la jurisprudence Cesareo exigeant une concentration des moyens (Assemblée plénière, 7 juillet 2006, JCP G 2007 2 10070, note Georges WIEDERKEHR, RTD civ. 2006. 825, obs. R. PERROT). Cela conduit à l’évacuation de dossiers au détriment du droit d’accès au juge du justiciable, ce que déplore Xavier VUITTON.
Il en découle également un déclin de l’oralité des débats, à laquelle ne gagnent pas les magistrats, qui ont au contraire besoin d’être éclairés par les avocats sur certaines difficultés du dossier, estime Alice PEZARD et des avocats, qui perdent une occasion de gagner la conviction du juge, enfin et surtout, des justiciables, pour qui les audiences matérialisent leur droit d’accès au juge.
Les invités ont mis en avant des pistes d’évolution. Ainsi, la justice prédictive, qui pourrait constituer un frein à la créativité juridique, doit au contraire pousser les avocats, pour éviter la déplorable compilation par algorithme qui se dessine, à redoubler d’ingéniosité, afin de renverser des jurisprudences établies, « sabre au clair ».
Également, si l’audience de plaidoirie est menacée – et les conséquences du calamiteux virus en ont constitué un accélérateur – elle doit être préservée, choyée et constituer l’occasion d’un véritable dialogue (ce mot est galvaudé, il faut lui redonner tout son éclat) entre les avocats et les magistrats dont les rapports sont de plus en plus tendus et « à distance », pas seulement de manière physique, mais aussi intellectuelle.
Le rôle des magistrats doit encore se voir renforcé, notamment à l’occasion de la mise en état, au début du procès, pour un maximum d’efficacité. Cependant, Jean-Daniel BRETZNER critique l’arrêt Dauvin (Assemblée plénière, 21 décembre 2007, JCP G 2008 II 10006, note Laura WEILLER, RTD civ. 2008. 317, obs. Pierre-Yves GAUTIER) en ce qu’il permet au juge de soulever d’office un moyen à un stade très avancé du procès, risquant de mettre à mal le principe du contradictoire, même si cette faculté est peu utilisée, les magistrats se refusant à se substituer à ceux des avocats qui n’auraient pas suffisamment travaillé le dossier en droit.
Le recours aux modes amiables de règlements des litiges constitue une option hautement recommandée par le gouvernement et les juges, pouvant de ce fait être envisagé au titre de la stratégie. La décision d’y recourir dépend cependant de nombreux facteurs, à commencer par l’adhésion du client, dont il faut parfois vaincre la résistance.
Pour conclure, comme l’a remarqué Matthieu BROCHIER, le procès est une chose vivante ; il ne faut pas oublier sa dimension humaine, qui a été constamment rappelée par les invités. Cela implique que les avocats se conforment à une certaine éthique que réclame leur qualité d’auxiliaires de justice, au même titre que la déontologie des magistrats : tous, participent au service public de la Justice.