Soirée-débat « À quoi sert donc la rhétorique juridique ? »
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L’évènement a fait l’objet de la publication d’un article au sein de La Semaine Juridique (JCP G 2025, n°5, 161) reproduit ici (publication effectuée avec l’aimable autorisation des Éditions LexisNexis et de la revue La Semaine juridique, édition générale) : lire l’article complet.
Pour introduire cette soirée, Madeleine Le DALL, présidente de l’Association de l’École de droit, a prononcé quelques mots, complétés par le professeur Pierre-Yves GAUTIER, directeur de l’École.
Une discussion autour de la question « À quoi sert donc la rhétorique juridique ? » s’en est suivie. Elle fût rythmée par une lecture vivante de textes célébrant l’art oratoire, de Cicéron à Maurice Garçon, réalisée par Virgile BRAMLY, comédien et étudiant au sein de notre université.
Maîtres Marie BURGUBURU et Kami HAERI, avocats à la Cour et anciens secrétaires de la conférence, Madame Elisabeth IUNG, directrice juridique contentieux chez L’Oréal, et Monsieur Patrick SAYER, président du Tribunal des activités économiques de Paris, ont ainsi pu exprimer leurs points de vue sur ce sujet.
Cette table ronde a permis d’évoquer l’importance du beau dans la présentation du discours. Cette beauté qui renvoie non seulement à la rigueur du discours, sa concision, mais aussi à l’usage d’un français parfait, couplé à une maîtrise totale du langage juridique. L’écriture est ainsi nécessaire, et avant elle, la lecture : de Proust à Dostoïevski en passant par Apollinaire, ces grands auteurs sont assurément la meilleure école du discours.
Cela dit, les intervenants ont souligné qu’il ne pouvait pas être fait fi de la vérité. Le mensonge, comme la mauvaise foi, exposent qui les pratique à en payer le prix. Pour autant, cela n’interdit pas de conserver une part de subjectivité dans le discours, une nécessaire émotion que l’orateur se doit de transmettre à son interlocuteur. Auquel il doit s’adapter : l’éloquence réside dans l’adaptation à autrui. Aussi, savoir écouter et observer un public pour en comprendre les émotions constitue une force de conviction.
Si l’éloquence est nécessaire, elle ne se suffit pas à elle-même. Le travail préparatoire a aussi son importance : de la première recherche juridique à l’élaboration d’un fin raisonnement structuré par un plan. La beauté du discours ne peut alors que servir une réflexion poussée.
En conclusion de cet événement, le professeur Gautier a improvisé la synthèse des diverses interventions, soulignant l’importance d’un travail préparatoire rigoureux, humain, et authentique et rappelant à chacun le caractère irremplaçable de la littérature.
Compte-rendu rédigé par les élèves de l’Ecole de droit (Marguerite Baudry, Amaury Berges Camier, Nil Vautrin)
Photographies : Alexandre Griseri
Les textes récités par Virgile BRAMLY
Cicéron, De oratore, Livre Premier « Les Trois dialogues de l'orateur, à Quintus »
Texte : « Quel est donc l'homme qui frappe de surprise et de terreur ceux qui l'écoutent, qui leur arrache des cris d'admiration, qui présente à leurs esprits étonnés l'image d'un dieu parmi les mortels ? C'est celui dont les pensées et les expressions se suivent avec ordre et netteté, celui dont le style élégant, riche, abondant, rappelle à l'oreille la cadence et l'harmonie des poètes : celui, en un mot, qui a ce que j'entends par une élocution ornée. Un tel homme, s'il sait d'ailleurs mesurer son langage d'après le rang des personnes et la dignité du sujet, aura de plus ce genre de talent que j'appelle mérite des convenances. Antoine prétend qu'il n'a pas encore rencontré de semblables orateurs, et que ceux-là pourtant mériteraient seuls le titre d'éloquents. Moquez-vous donc, croyez-moi, de ceux qui pour avoir suivi les leçons de ces hommes à qui l'on donne aujourd'hui le nom de rhéteurs, s'imaginent posséder ce qui fait l'orateur véritable, et en sont encore à comprendre les devoirs qu'impose un titre si beau, la grandeur et la dignité de leur profession. Puisque la vie humaine est la sphère où se meut l'orateur, la matière sur laquelle il a sans cesse à s'exercer, il n'est rien de tout ce qui s'y rattache qu'il ne doive avoir lu, entendu, médité, traité, discuté, approfondi. L'éloquence en effet est une vertu du premier ordre, et bien que toutes les vertus soient égales entre elles, il en est cependant qui ont plus d'éclat et de beauté que les autres. Telle est celle dont nous parlons, qui embrassant la vaste étendue des connaissances, exprime, interprète toutes tes pensées, tous les sentiments de l'âme, entraîne l'auditeur, et le fait mouvoir à son gré. Plus son pouvoir est grand, plus il faut aussi qu'elle soit unie à la probité, à la prudence, instruire dans l'art de la parole des hommes dépourvus de ces vertus, ce n'est pas former des orateurs, c'est armer des furieux. »
Plutarque, Vie des hommes illustres, « Vie de Lycurgue »
Texte : « […] On formait les enfants à une manière de parler vive et piquante, assaisonnée de grâce, et qui renfermât beaucoup de sens en peu de paroles. Lycurgue, comme nous l’avons dit, avait donné à la monnaie de fer un grand poids et peu de valeur : il fit tout le contraire pour la monnaie du langage ; car il voulut qu’elle contînt, dans un petit nombre de mots simples, beaucoup de sens et des pensées d’un grand prix. Il accoutumait les enfants, par un long silence, à se montrer sentencieux et serrés dans leurs réparties ; car, de même que la débauche énerve l’homme et le rend impuissant, de même l’intempérance de la langue rend le discours lâche et vide de sens. […]
De même, il m'est avis que le discours laconien, malgré sa brièveté, va très -bien au but, et pénètre dans la pensée des auditeurs. […]
Quant à l’aversion des Lacédémoniens pour les longs discours, c’est ce que prouvent les bons mots que je vais rapporter. Un homme disait un jour, à contre-temps, des choses qui ne manquaient pas de bon sens. « Mon ami, lui dit le roi Léonidas, tu tiens, hors de propos, de fort bons propos. » On demandait à Charilaüs, neveu de Lycurgue, pourquoi Lycurgue avait fait si peu de lois. « C’est, répondit-il, qu’il faut peu de lois à des gens qui parlent peu. »
On blâmait le sophiste Hécatée, qui avait été admis à un repas commun, de n’y pas prononcer un mot. « Celui qui sait parler, dit Archidamidas, sait aussi à quel instant il faut parler. » Voici des exemples de ces réparties piquantes où la grâce, comme je l’ai dit plus haut, tient aussi sa place. […] »
Le Bâtonnier Jacques Charpentier, Remarques sur la parole [Fragments], 1961
Texte : « L'improvisation : C’est la forme idéale du discours ; née de la conjoncture, modelée à mesure qu’elle se déroule, sur les sentiments qu’elle inspire, elle est seule capable de réaliser cette harmonie de l’orateur et du public, qui est le but suprême de l’éloquence. Mais surtout, l’improvisation associe ses auditeurs à son travail, sa pensée ne leur est pas apportée toute faite, elle se crée sous les yeux. »
« Il suffit de quelques approbations involontaires, dont l’orateur aperçoit les signes, pour qu’il s’emballe, comme un cheval de sang. Son débit s’accélère, les phrases se composent d’elles-mêmes, les idées s’enchaînent. Les mots accourent sur ses lèvres, parce que ce sont les auditeurs qui, silencieusement, les lui soufflent. »
« On croit souvent que la faculté d’improviser est un don naturel, elle est plus fréquemment un résultat de l'exercice. »
Le Bâtonnier Jacques Charpentier, Remarques sur la parole [Fragments], 1961
Texte : « Tout discours est un combat. Face à face, un homme qui parle et ceux qui écoutent, ou qui refusent d’écouter… il s’agit pour lui de leur imposer son opinion et de déterminer leurs actes, de les dominer. Les orateurs, ainsi que les amants, n’ont qu’un ennemi, l’indifférence. »
« L’orateur plie son auditoire à son rythme. Rythme de la respiration, rythme de la pensée. Voyez ces corps immobiles, ces bouches entrouvertes. »
« L’orateur se moque des points et des virgules, de la syntaxe et du sens apparent des mots. Pour entraîner les hommes à l’action, il doit les pourvoir d’idées franches, sans bavures, qui ne laissent plus place à la discussion… il ne peut les rassembler qu’à l’abri de concepts bien délimités et accessibles à tous. Le discours doit produire son effet sur-le-champ, il ne supporte d’être ni discuté, ni interprété. Avec lui doivent s’éteindre toutes les controverses. Après lui, ne doivent subsister ni obscurités, ni doute, ni repentirs. »
« Ton style, c’est toi-même tel que tu te veux et que tu entends paraître aux yeux des hommes. Sculpte ta propre statue et fais ton métier. D’elle-même, la beauté viendra. Suis le conseil du philosophe : deviens ce que tu es. »
Maurice Garçon, Essai sur l’éloquence judiciaire, 1947
Texte : « Un discours, si magnifique fût-il, n’a pas plus d’existence, après qu’il a été prononcé, qu’un nuage léger, dont la forme et la couleur peuvent inspirer l’admiration, mais qui s’évanouit vite, et ne laisse plus de trace que dans le souvenir.
Une grande partie du talent d’un orateur consiste à dissimuler son art et à montrer un naturel qui crée, entre celui qui écoute et lui-même, un courant de sympathie et de confiance ».
Georges Kiejman, L’homme qui voulait être aimé, 2021
Texte : « Avocat en défense : sa parole comprendra le plaidoyer proprement dit et la réplique, dans un seul et même discours. L’éloquence solide consiste plus dans la force du raisonnement que dans les fleurs de l’élocution. Un client peu instruit dans les affaires s’imagine que sa défense ne saurait être trop ample. Dans le récit du fait, les moindres particularités lui paraissent importantes, parce qu’elles l’intéressent ; dans le détail des moyens, les plus faibles raisonnements lui semblent décisifs, parce qu’ils sont à son avantage. Mettez-vous seulement à la place du juge, efforcez-vous de lui présenter vos moyens comme n’étant que l’application de principes sur lesquels il n’hésite pas ».